Nous voici tous au même niveau, sous la férule de cette pandémie. Nul ne se sent préservé, privilégié. Cet « ennemi » commun nous a montré la voie concrète de la solidarité, du partage. Il a révélé des êtres cachés, humbles, indispensables. Ceux qui tiennent à bout de bras le service public. Leurs actions, aujourd’hui, réveillent notre capacité d’exister en communauté et les louanges ont remplacé les matraques.
Brecht disait que seul un évènement important peut remettre la société dans ses gonds. Cependant, ce qui semble nous conduire vers le monde d’après, risque de déboucher sur le monde d’avant, en pire. Cette pandémie ne prend pas seulement possession de nos corps mais de nos consciences et pourrait se traduire par l’acceptation du renforcement d’une autorité qui se veut protectrice. Le Grand débat de 2018 en est la preuve flagrante. On donne l’impression de s’intéresser à la parole des citoyens et rien n’en sort. Oh, bien sûr, ce n’est pas le moment de poser des questions provocatrices quand il faut se rassembler. Mais alors, quand ?
La rencontre du Président de la République avec les artistes de renom s’est faite sans tenir compte du droit de représentation de notre profession dans sa plus grande diversité sociale, celle qui en fait sa richesse. Dans notre milieu, le plus visible est et restera officiellement invisible. Accepter cette discrimination c’est légitimer sa domination, sa récurrente distanciation sociale et culturelle, économique, médiatique, territoriale, avec son IN et son OFF. On n’est pas OF, on le devient.
Nous avons eu droit à des mesures transitoires là où pouvait s’amorcer les prémices d’une réflexion pour la transformation démocratique de la décentralisation culturelle.
Ce show télévisé nous a montré que le pouvoir reste confiné dans ses idées reçues qui n’ont ni fond ni rive. Aucune « invention » à attendre de ce côté-là.
Si de nouvelles rencontres étaient organisées pour réfléchir collectivement à l’après confinement, parions que les mêmes seraient conviés. Pour prescrire ce qui doit être, il faut déjà connaître ce qui est. Le chef de l’Etat préconise que les intermittents interviennent dans les écoles, dans le cadre d’activités qui permettraient de « réinventer d’autres formes de colonies de vacances apprenantes et culturelles ».
Sur tout le territoire, des lieux, des compagnies théâtrales, inventent, depuis toujours, d’autres formes apprenantes et culturelles. Loin d’être accessoires, ces pratiques artistiques mettent en avant la nécessité de l’ancrage des artistes au sein des quartiers et des territoires ruraux.
En intervenant régulièrement dans les écoles, collèges, lycées, facultés, associations, le Studio-Théâtre de Stains plongent ses racines dans l’environnement territorial où il est implanté pour générer ensuite autour de la création, la créativité et non la récréativité. Ainsi naissent les supports de la formation citoyenne et de la cohésion sociale. Alors, tout prend sens. L’ouverture du débat, génère l’ouverture sur le monde.
Le constat aujourd’hui partagé par tous sur l’économie, les inégalités et l’écologie, vaut aussi pour le monde culturel. C’est le moment de redéfinir la mission du service public de la culture. En prenant part au Grand débat, nous n’avions pas d’autre prétention que de parler du Théâtre public. Nous voulons dire : du théâtre et du public.
Avec d’autres lieux et compagnies nous souhaitonspréserver et renforcer ce lien qui nous unit :
- soutenir les équipes ancrées sur un territoire
- favoriser la diffusion des œuvres notamment celles des compagnies sans lieux;
- reconnaître les Théâtres de proximité, comme étant des lieux de création au même titre qu’un CDN, en les dotant d’un cadre pérenne, poursuivant ainsi la décentralisation : la protection et l’édification de lieux prestigieux ne doit pas mettre en masure les lieux émergents ;
- penser ensemble une meilleure redistribution des richesses et une conception véritablement collective de la production artistique ;
- redéfinir la notion de diversité culturelle : elle n’est créative et démocratique que si elle rassemble la diversité des artistes et des public;
- inverser le rapport aux médias, fabriques d’opinion, responsables de la discrimination (effet de lieu) qui valorise ou dévalorise un théâtre, une ville, une population. Avec la revue Liber,Bourdieuespérait « développer des forces de résistance contre les forces d’oppression qui pèsent sur le journalisme et que le journalisme fait peser sur toute la production culturelle et, par là, sur toute la société. »
Développons, ensemble, des forces de résistance !
L’équipe du Studio Théâtre de Stains