En partenariat avec l’association Lire c’est vivre, le spectacle Tous mes rêves partent de gare d’Austerlitz de Mohamed Kacimi et mis en scène par Marjorie Nakache a pu être présenté à une cinquantaine de détenues dans la bibliothèque de la maison d’arrêt pour femmes de Fleury-Mérogis, le mardi 5 mars 2019.
L’équipe artistique du spectacle revient sur cette expérience au sortir de la représentation.
Tous mes rêves partent de gare d’Austerlitz, retour à la case prison.
Il pleut sur Fleury-Mérogis
Les murailles de la maison d’arrêt des femmes sont bouffées par des nuages gris. Des nuées de corneilles survolent les miradors. Devant la porte de la prison toute l’équipe du Studio théâtre de Stains est là : Marjorie Nakache, Kamel Ouarti, Xavier Marcheschi ; les comédiennes : Jamila Aznague, Gabrielle Cohen, Olga Grumberg, Marjorie Nakache, Marina Pastor et Irène Voyatzis.
On attend Nelly Tieb, animatrice de l’association « lire c’est vivre » qui a organisé cette représentation. Pour des raisons de sécurité, l’administration pénitentiaire a refusé qu’on introduise les décors. On piaffe devant la grille d’entrée verte et rouillée. Dessus est collée une pancarte écrite en trois langues, français, anglais et espagnol : « Objets interdits avec des idéogrammes de clé USB, casquette, bonnet, chewing-gum, cigarette et monnaie ».
Avant de passer le sas, nous plaçons nos téléphones dans des casiers métalliques en aluminium. La porte s’ouvre. Il faut entrer trois pas trois, passer les affaires par le scanner. Franchir une première grille puis une deuxième. On débouche sur grande cour aux murs en béton incrustés de galets. Au centre, il y a un pommier en fleurs et une rangée interminable de poubelles. On passe une autre grille qui donne sur un long et large corridor, peint en jaune et décoré avec des cartes du monde peintes par les détenues. A gauche, se trouve la pouponnière où les femmes élèvent leurs enfants nés en prison jusqu’à l’âge de 18 mois avant qu’ils ne soient confiés à des famille de garde. Une autre grille encore qui donne sur une rotonde et qu’on appelle la tour. Là se trouvent les salles d’activités et les postes de contrôle tenus par les surveillantes. Aucune n’a de nom, le règlement impose qu’elles s’appellent entre elles ou avec les détenues, « surveillante », tout court.
La salle de spectacle se trouve au deuxième étage, elle dispose d’une petite scène en demi cercle qui doit faire trois mètres de diamètre. Il y a une dizaine de rangées de chaises en plastique, sales. Les comédiennes s’improvisent des loges avec un paravent.
Les détenues arrivent au compte goutte, car elles doivent s’inscrire la veille pour l’activité qu’elles désirent. Elles sont ensuite sorties une à une de leurs cellules par les surveillantes. La procédure est très stricte, on fait sortir d’abord les condamnées puis les détenues.
Les filles arrivent, la salle se remplit petit à petit. Ce qui frappe d’abord, c’est leur âge, elles sont très jeunes et on sent qu’elles sont toutes issues de milieux défavorisés. Elles viennent de partout, de France, d’Afrique, du Maghreb, d’Europe centrale.
Toute l’équipe du STS est tendue, les comédiennes vont jouer pour la première fois devant des détenues une pièce qui parle de la détention.
A l’invitation de l’association lire c’est vivre j’avais animé, durant les fêtes de fin d’année, des ateliers d’écriture à la maison d’arrêt des femmes de Fleury. J’avais été frappé par la grande humanité des condamnées et subjugué par l’énergie qu’elles déployaient pour ne pas sombrer d’un coup comme c’est le cas des hommes.
Marjorie Nakache m’avait demandé d’écrire une pièce sur cette expérience. Non pas une pièce sur la prison, mais sur la plus haute solitude des femmes.
La pièce a été créée cette année au Studio théâtre de Stains puis accueillie au Théâtre 13. Elle se jouera cet été durant un mois à la Chapelle du Verbe incarné à Avignon.
Les comédiennes entrent en scène. Je les sens crispées. Dans la salle, le téléphone sonne sans cesse, ce sont les appels pour le parloir. Les détenues rient à chaudes larmes quand Gabrielle Cohen déboule en colère pour hurler : « Si je chope la salope de roumaine qui m’a piqué mes Nike je lui taille les couilles en Julienne »
Sans les décors, la pièce prend une autre dimension. Exclue du théâtre, elle gagne presque en véracité. Marjorie, Olga, Gabrielle, Marina et Irène, jouent au milieu des détenues, et plus rien ne les distingue d’elles.
Le téléphone continue à sonner. La pièce touche à sa fin. Les comédiennes regardent la forêt imaginaire, et cette fois-ci il n’ y aura pas de neige qui va tomber du ciel ou des cintres. Les détenues applaudissent très fort. Les surveillantes les regardent surprises, beaucoup n’ont jamais vu une pièce de théâtre de leur vie. Les comédiennes sont en nage… Une détenue lève la main : « avant de venir ici est-ce que vous aviez peur de nous ? » … Une autre me corrige : « monsieur vous parlez des corbeaux qui volent notre bouffe, en fait ce sont des corneilles ». Une autre dit à Marjorie « vous êtes une vraie, femme, madame ». Une jeune fille africaine, très émue, me glisse doucement « C’est bien monsieur, de dire ça, les hommes ils sont méchants, très méchants avec les femmes, alors les femmes font des bêtises alors on les mets en prison, parce que les hommes sont méchants »… Marjorie confie » je n’ai jamais eu le trac de ma vie comme aujourd’hui. On est sonnés, on ne veut plus rien dire, juste continuer à regarder les yeux de ces jeunes filles, sidérées qu’on puisse parler d’elles, en prison, avec autant d’humanité… C’est un long silence entre nous qu’interrompt la voix des surveillantes : – Les condamnées d’abord, puis les prévenues ensuite.
Maison d’arrêt des femmes de Fleury. 5 mars 2019
Mohamed Kacimi